• Le 1er décembre 2010, j’ouvrais mon cabinet. 

    A cette époque, j’aurais pu écrire que j’accompagnais à retrouver une fonctionnalité sexuelle. Je recevais des paysans, des ouvriers, des employés, des cadres, des libéraux, des étudiants et je tenais tout près le savoir, enfermé dans les livres. Aujourd’hui, je dirai que je reçois des humains de tout âge et le savoir est derrière ce qui se révèle d’une vie ou d’une relation. Aujourd’hui, je dirai que j’explore les liens entre le corps, le temps, l’amour et la sexualité. 

    Ce que j’ai compris ? Simplifier la sexualité masculine et compliquer celle des femmes n’est pas juste ; la sexualité humaine est complexe. En chacun de nous, quelque que soit notre sexe, un fil particulier relie nos pensées, notre corps et notre histoire. Derrière la question sexuelle il y a la question de l’amour. Le socle d’une relation n’est pas la fréquence des relations sexuelles, mais la possibilité de vivre en intimité, c’est à dire d’exister avec sa singularité près d’un autre singulier, et cette intimité favorise la sexualité. Une sexualité portée par une idéologie (religieuse, spirituelle, sociale, politique) a dû mal avec le langage du coeur et de la sensation. S’aimer est nécessaire à son plaisir et pour aimer l’autre. Une part de mystère demeure dans nos attirances et dans nos choix. 

    Ce qui me plaît ? Accompagner différents âges et moments de vie. Sortir la sexualité du bruit et du silence. Aider à aimer mieux. 

    Ce qui m’a émue dans le mois : me tenant sans religion face à une femme avec religion et entendre résonner notre humanité. La blessure du lien n’a pas de culture, de religion ni de classe sociale. 

    Cinq livres qui ont accompagné ces quinze années (et que vous pourriez avoir envie de lire )

    Monologues du vagin, Eve Ensler, éditions Balland

    Accord et à coeur, une sexualité pour soi et pour l’autre, Danièle Flaumenbaum, éditions Payot

    Apprendre à faire l’amour, Alexandre Lacroix, éditions Allary

    Le slow sex, s’aimer en pleine conscience, Anne Descombes et Jean-François Descombes, éditions Marabout

    Sexepérience, Margot Fried-Filliozat et Isabelle Filliozat, éditions Robert Laffont  (pour les adolescents)

    • Ce que j’ai envie de développer : après avoir beaucoup lu sur la psychologie, la sexologie, l’éducation, la sociologie, j’ai envie d’explorer davantage ce que peut la littérature pour la sexualité et la relation.
  • L’amour ce n’est pas être toujours d’accord. Ce n’est pas parler d’une seule voix. Ce n’est pas verser tout son argent sur le compte commun. Ce n’est pas tout faire ensemble. Ce n’est pas s’oublier, ni sortir l’autre de lui-même. 

    L’amour est plus proche de pouvoir exister dans sa forme près d’un autre qui existe dans la sienne. 


  • 13 octobre 2025

    Vous m’écrivez sur les réseaux vos difficultés, votre passé, vos questions. Vos messages m’émeuvent et je me sens maladroite, incapable de vous répondre ici.
    Il existe un lieu qui recueille la pensée et écoute le corps, qui accueille autant la personne que la relation. Dans ce lieu, cette parole peut se déplier.
    Le soleil, le vent et le tilleul du jardin animent le rideau.
    Un bureau permet d’écrire un peu de vous lors du premier rendez-vous. Une lampe offre sa lumière douce. Un mur coloré, deux fauteuils et un petit canapé en velours enveloppe la confidence.
    Assise en ce lieu, je peux accompagner au plus près de ce qui se vit en amour et en sexualité.
    Je dépose là et ailleurs des textes, comme des échos aux histoires qu’on me confie ou que je vis ; ces textes tentent de sortir l’intime du bruit et du silence.

  • Pourquoi écris-tu ?

    Tu as déjà écrit pourquoi tu écris. Tu n’as pas besoin d’écrire ce texte ; tu n’as même pas besoin de l’envoyer. Tu te dis, cela vient, léger et fluide. Tu suis juste l’élan. C’est faux, avoue. Tu regardes le trèfle à quatre feuilles dans ta trousse. Tu écris dans l’espoir d’être vue. C’est cela que tu cherches.

    Tu n’écris plus. Tu marches et tu soupires. Tu transpires, tu manques d’encre et de solitude. De livres. Sous ton crâne, une tempête.

    Tu reviens avec un lac au milieu d’une forêt.

    Pourquoi écris-tu ?

    Tu ne peux pas t’empêcher. Tu achètes des carnets, tu aimes leur odeur ; tu achètes des crayons, ce sont de beaux objets. Tu libères la pointe du capuchon et te voilà devant une feuille, comme une promesse. La rêverie ouvre aux mots, tu les offres à la feuille. Tu écris des lettres à des personnes dont tu as oublié l’adresse, avec lesquelles un dialogue se poursuit la nuit. Ton remède à l’insomnie. Tu écris à ceux que tu aimes, à ceux que tu n’aimes pas, aux inconnus, aux morts, avec tes ancêtres, ce que tu n’as pas osé, pas eu le temps ; c’est ta façon de réconcilier les fantômes et les vivants. Tu écris avec ceux qui n’ont pas de voix. Tu écris ce que tu ne peux taire.

    Pourquoi écris-tu ?

    Tu ne sais ni dessiner ni peindre. Avec les mots, tu crées des couleurs, des vibrations, des paysages, comme d’autres font des enfants. Tu sens remuer dans ton ventre et tu accouches d’une histoire. Ces textes sont imprévisibles. Ils te consolent des fois où tu cafouilles, des fois où tu bredouilles. Ils racontent après le silence. Ils protègent de l’oubli les doutes, les lueurs, les palpitations.

    Pourquoi écris-tu ?

    Parler t’épuise, parler te perd ; écrire t’organise. Tu écris sans ordre et sans cohérence. Avant la phrase et la ponctuation. Des pensées floues s’entrechoquent. Parfois, de ce flot jaillit un bateau et un matelot. Tu noircis des carnets depuis vingt ans ; la dernière feuille écrite, tu les empiles dans des boîtes. Tu ne les jettes pas ; le papier est précieux, il sent le bois.

    Pourquoi écris-tu ?

    Tu écris parce que tu lis, tu lis parce que tu écris. Tu écris la nuit, le matin, beaucoup l’été, peu l’hiver. Ou l’inverse. Dans ta tête, sur un papier, un chiffon. A la craie sur les dalles du jardin des poèmes que seuls les insectes entendent.

    Tu as écrit les émotions coincées dans ta gorge. Pour résoudre des énigmes. Pour apprivoiser une vague. Tu as écrit pour reposer le corps, te concentrer.

    Tu as écrit les murmures immenses et les cris minuscules. Tu as écrit pour te rappeler, tracer ce que tu connais un peu est déjà un peu. Les personnages qui gesticulent sous ta peau. Ces vies secrètes, celles à venir et celles que tu ne vivras pas, tu n’as qu’un corps.

    Pourquoi écris-tu ?

    Tu écris pour ne pas affoler le temps, remuer l’instant avec la langue et le relâcher, au suivant. Si tu ne gardes rien, tu utilises tout. Tantôt tu écoutes à l’intérieur des contours, tantôt tu observes à l’extérieur. Assise à ta table, un crayon dans la main c’est paisible même dans le tumulte. L’écriture précède l’expérience ou la suit, accueille tes mensonges. Elle offre une maison à ta pensée. Ecrivain est un état. Écrire est un mouvement, il pétille.

    Pourquoi écris-tu ?

  • De toutes sortes de mots

    je l’habille

    et en son nom

    je manipule

    je sauve

    je mate

    je vénère

    je magnifie

    je tue.

    Je le confonds

    parce que j’ai grandi  

    sans mode d’emploi 

    avec ce qui déjà dans le corps de ma mère

    puis debout près de mon père

    établit la particulière résonance

    entre la bouche le coeur et le sexe.

    parce que tant de malentendus

    d’attentes d’abus

    d’absences et d’illusions 

    ont forgé ce que je suis 

    sans le savoir je lui dédie

    mes jours mes nuits et mes années

    et demande réparation 

    en t’accusant de tous mes maux. 

    Que reste-t-il 

    lorsque je n’exige plus de toi

    la satisfaction de mes besoins

    que je ne te force plus

    à suivre mes obligations

    à adopter mes convictions

    que je rends tes colères

    refuse les nourritures indigestes 

    et les lois iniques

    que reste-t-il 

    lorsque je ne mélange plus

    nos fantômes  

    que je ne lutte plus pour 

    te transformer   

    lorsque derrière tes attaques

    je vois tes peurs

    que reste-t-il 

    si chacun se retourne 

    soigne la dissonance du lien

    et s’apaise avec son conditionnel.

    Que reste-t-il

    quand assis sur notre solitude

    yeux dans les yeux

    nous entendons battre nos coeurs ?

    Il reste l’amour. 

  • J’aimerais donner au visage

    quelques heures avec quelques mots

    au lieu d’étaler une crème, vite fait, le matin

    au lieu de le regarder, vite fait, le soir.

    J’aimerais lui faire une place

    l’envisager sur la page

    en face et de côté

    par au-dessus et par en-dessous

    à l’extérieur et à l’intérieur.

    Je dirai ce qu’il montre, ce qu’il cache.

    Je dirai son origine, ses formes, ses mutations.

    Le temps oeuvre

    l’ouvrage commence avant la naissance

    se termine après la mort

    soleil et nourriture le façonnent

    le temps dessine des lignes, des traits

    des taches et des plis

    le temps creuse et marque

    amplifie aussi.

    le temps avachit.

    Mais s’il vieillit, le visage, ce n’est pas l’âge

    c’est le froid dans le coeur qui fixe les sillons.

  • toi qui sors de la prison

    de tes parents

    avec une peau de femme

    et les pensées d’une enfant

    toi qui a décidé

    de trier leurs héritages

    de garder

    le beau de leurs messages

    le juste de leur prières

    toi qui a envie de jouir

    avec qui tu auras choisi

    dans tes mues successives

    tu m’émeus

  • Au tout début, une voix.

    Elle existe avant l’alphabet. Elle naît dans un cri, grandit en syllabe et en mots. Elle est le corps qui partage du sens. Son souffle bouscule les pierres et penchent les herbes dans la plaine. Son écho rebondit entre les montagnes et remue les forêts. Elle crée l’écriture. Pratique pour compter les récoltes, conserver la mémoire, ordonner le temps et les humains ensemble. La nuit autour du feu, elle se tourne vers le ciel, honore la vie des dieux et des déesses.

    Le temps avance.

    Elle rencontre l’encre et le papier, suit les saisons, la religion et le roi. Celle des clercs écrit en latin dans des livres rares. Des rois se succèdent, comme les guerres. Je ne dirai pas leurs noms, une guerre est une guerre. C’est toujours se battre pour ou contre un dieu, un territoire, un peuple. C’est toujours des armes, du sang, des morts et des larmes. La voix écrit dans une langue, ancêtre de notre langue, les engagements des soldats. Celle des troubadours chante les exploits des chevaliers et leurs amours. Des histoires de héros, de quête, pleine de péripéties. De foire en foire, de bouches à oreilles, les histoires voyagent et se transforment au gré de l’imagination. Personne ne connait la voix origine.

    Le temps avance.

    La voix regarde moins le ciel. Curieuse et avide de connaissances, elle s’intéresse au corps et à la raison. Grâce à l’imprimerie, elle habite dans un livre. Sa langue devient notre langue. L’amour et les découvertes de terres et de peuples inconnus attirent des lecteurs. La voix des penseurs éduque, aide à s’épanouir et à prendre ses responsabilités.

    Le temps avance.

    La grammaire et l’orthographe fixe la langue. La voix déborde de fantaisie ; elle veut plaire et instruire. Celle des comtesses et celle des ducs continuent de célébrer la passion amoureuse. Celle des philosophes aime débattre la pensée. La voix écrit sous forme de mémoires ou de lettres et pose sa signature après le point final.

    Le temps avance.

    S’appuyant sur l’imaginaire et l’expérience, la voix réfléchit. Elle lutte contre l’ignorance et l’injustice, combat toute forme d’oppression et d’intolérance. Elle dénonce les manipulations des séducteurs. Elle prend corps sous forme de dialogues, de correspondances, de conte philosophique, de dictionnaire pendant que sa langue continue de s’unifier et de s’enrichir. Elle circule mieux sur les routes qui serpentent entre villes et campagnes. Dans les librairies, les livres se multiplient. La censure enferme en prison la voix de ceux qui osent la critique. Le lecteur n’est plus sujet du roi, il devient citoyen.

    Le temps avance.

    Le progrès galopant investit la médecine, l’industrie, l’éducation. La puissance des nobles recule, celle des bourgeois s’accroît. La voix reflète le réel. Elle se faufile dans les rues et se promène sur les chemins. Elle frappe à la porte des marchands, des ouvriers et des paysans. Ils lisent ses feuilletons dans les journaux. La voix témoigne de la vie des travailleurs et des ambitieux. Elle dénonce et s’engage. Elle écrit sur la voix, sur les sentiments et les émotions. Elle préfère la passion à la raison. Avec son livre, elle entre dans une maison d’édition. Critiques et prix littéraires rythment sa vie.

    Le temps avance.

    La voix s’assied sur les bancs d’écoles gratuites et obligatoires. Elle rêve, s’évade ou témoigne. Celle des écrivains se mêle à celle des peintres dans les cafés. Elle explore le hasard, la folie, encore et toujours l’amour, l’absurde de l’existence. Elle s’engage avec ses héros au coeur de la société, du politique et de la guerre. La voix mélange les manières de l’oral et de l’écrit, ajoute des mots venus du pays voisin. Les livres se consomment. Les collections et les formats se multiplient.

    Le temps avance.

    La voix, avec le numérique, appartient à toutes et à tous. Le livre devient écran. La voix de la nuit des temps rencontre celle de la machine. S’accorderont-elles ?

  • la vie qui jamais ne donne de leçons 

    dans son flot m’emporte

    la laisser remuer 

    la laisser se répandre 

    dans ses larmes

    dans ses soleils 

    tant qu’à être née

    je veux garder ouverts 

    les yeux et les oreilles

    tenter avant de mourir

    d’apprendre à la vivre

  • Je trace des lettres, elles deviennent des mots, parfois des textes. 

    Ces textes racontent les bois, les herbes, les bêtes, les nuages. Ils s’approchent du dedans. Instant d’un jour ou d’une nuit, ils inventent un morceau de vie, expriment un peu de moi. 

    Moisson de sensations, ils leur donnent une place, plus que mon corps.

    Mon corps porte l’écho des voix qui murmurent entre les murs du bureau, qui hurlent ou se lamentent. 

    Ces textes sont imprévisibles. Ils me consolent des fois où je cafouille, des fois où je bredouille. Ils racontent après le silence. Ils protègent de l’oubli les doutes, les lueurs et les palpitations.